Le satellite météo MTG-S1 d'Eumetat initialement programmé sur le nouveau lanceur européen a finalement été confié à l’entreprise d’Elon Musk. Berlin a été à la manoeuvre pour imposer le lanceur américain Falcon 9 au détriment d'Ariane 6.
D’HABITUDE SI DISCRÈTE, Eumetsat, l’organisation européenne pourl’exploitation des satellites météorologiques, a provoqué vendredi unevéritable tempête dans le spatial européen. Même le très pondéré directeurgénéral de l’Agence spatiale européenne (ESA), Josef Aschbacher, s’est fendud’un post sur X (ex-Twitter) très inhabituel. Mais qu’a donc fait Eumetsat poursusciter autant d’indignations mais aussi d’incompréhensions ? Contre touteattente, elle a cassé un contrat signé en mars 2021 avec Arianespace (Ariane 6)pour lancer son satellite MTG-S1 (fabriqué par le groupe allemand OHB) et l’aréattribué à l’américain SpaceX (Falcon 9) à quelques jours du vol inaugural dunouveau lanceur lourd européen, prévu le 9 juillet. Très clairement, Eumetsat asans états d’âme lâché Ariane 6 en invoquant des « circonstancesexceptionnelles » qui restent à ce jour encore très mystérieuses.
En Europe, la décision a du mal à passer. « C’est du sabotage de prendre une telle décision à ce moment-là », s’indigne un responsable européen dans le domaine spatial. Josef Aschbacher, dans un tweet sur X, a quant à lui jugé « surprenante » la décision d’Eumetsat « de lancer avec SpaceX au lieu d’Ariane 6, sans attendre le vol inaugural », ajoutant : « C’est difficile à comprendre. »
Cette précipitation révèle en fait la volonté inédite d’Eumetsat de ne pas lancer MTG-S1, qu’elle considère comme « un chef-d’œuvre unique de la technologie européenne », avec Ariane 6. Ce satellite devait monter à bord du troisième vol du nouveau lanceur prévu au printemps 2025. En cas de succès du vol inaugural, la décision pour Eumetsat aurait été encore plus difficile à prendre et encore plus incompréhensible pour la filière. D’où ce choix, dicté par l’urgence de casser le contrat avec Arianespace, le conseil d’Eumetsat s’étant réuni les 26 et 27 juin. « Le sentiment que cela donne, c’est qu’ils ont tout fait pour ne pas se retrouver à effectuer un choix définitif au lendemain du premier vol d’Ariane 6 », confirme-t-on à La Tribune Dimanche.
Un choix d’autant plus surprenant que par le passé Eumetsat, qui a réalisé 14 lancements réussis avec Arianespace, n’avait pas craint de voler avec des lanceurs Ariane qui n’ont pas encore prouvé leur fiabilité. Cette organisation a confié depuis les débuts de la famille Ariane deux de ses satellites à la troisième Ariane 1, qui venait après l’échec de la deuxième, et à la première Ariane 4. « Ils ont su à ce moment-là faire un choix qui était extrêmement européen », rappelle-t-on à LTD. En outre, la mission consacrée à MTG-S1 était très classique pour une Ariane 62 dont le troisième exemplaire est déjà en production, et ne présentait pas de difficultés particulières. Et pourtant, Eumetsat a déchiré le pacte tacite qu’elle avait jusqu’ici avec l’industrie européenne de faire jouer la préférence communautaire, à l’image de ce qui se fait aux États-Unis. Très clairement, Eumetsat s’est mise politiquement dans une situation intenable.
C’est du sabotage de prendre une telle décision à ce moment-là
Un responsable européen
Le communiqué d’Eumetsat reste lui aussi très troublant pour l’avenir. L’organisation européenne n’évoque jamais le partenariat contractuel qu’elle a avec Arianespace. En principe, la filiale d’ArianeGroup, qui conçoit les Ariane 6, doit lancer les trois satellites suivants d’Eumetsat. Or le directeur général d’Eumetsat, Philip Evans, qui a pris la décision de présenter un rapport au conseil pour casser le contrat avec Arianespace, élude ce point. Arianespace lancera-t-elle les prochains satellites météo ? Le directeur général occulte la date de lancement de MTG-S1, désormais dans les mains de SpaceX, et ne donne aucune nouvelle sur l’état d’avancement du satellite. « Quel est l’état réel de préparation du satellite? » s’interroge d’ailleurs un responsable à Paris. Si le satellite n’était pas prêt pour un lancement au printemps, la décision d’Eumetsat serait encore « plus invraisemblable », estime-t-il.
Enfin, Eumetsat s’est logiquement abstenue de révéler les débats virulents au sein du conseil qui ont opposé la France à l’Allemagne. Berlin a été beaucoup à la manœuvre pour faire entériner cette décision, selon des sources concordantes. Paris s’est opposé en vain à la décision de la direction générale. À l’exception de la Belgique et de la Tchéquie (abstention), et de l’Italie et la Bulgarie, qui ont réservé leur réponse, tous les autres pays, entraînés par l’Allemagne, se sont assis sans état d’âme sur la préférence européenne. « L’Allemagne nous a planté un couteau dans le dos », regrette amèrement un responsable européen. Dernier point, le jeu trouble, selon des sources concordantes, qu’aurait pu jouer l’industriel allemand OHB, proche notoirement de SpaceX, pour influencer le choix de la direction générale d’Eumetsat. ■
source : la tribune